« Pour sortir de l’usine, il fallait emprunter un escalier de bois au-dessus duquel était la grande courroie de cuir, reliant la « roue » (installée sur la rivière dans le cœur le plus sombre d’un hangar sombre) à une grosse poulie de métal, placée juste au-dessus de la porte du premier atelier, l’atelier du devant, en tête d’un axe qui traversait presque toute l’usine et que ponctuaient d’autres poulies, de métal ou de bois, pour transmettre, à l’aide de courroies de cuir plus fines, la force motrice que nous offrait plus ou moins généreusement l’eau de la Doye, née à peine plus haut, sous les éboulis qui retiennent le lac de Sylans… La commande de la "roue" — principe classique du moulin à eau — c'était une tige de métal, fichée entre deux grandes baies à même la paroi de l'atelier, comparable à ces signaux d'aiguillage qu'on trouve au bord des voies ferrées. Tirée vers le bas, la tige commandait la déviation des eaux de la rivière vers le chenal de la roue dont les godets, se remplissant peu à peu, provoquaient l'entraînement de la grosse bête ronde tapie dans son éternelle nuit, ombre encore plus impressionnante dans l'ombre dès qu'elle entamait son éructation quotidienne, grâce à laquelle l'usine "tournait". » (extrait)
Telles sont les premières lignes de ce retour sur sa jeunesse qu’Yves Neyrolles construit au fil des pages. Inventaire, ré-invention, à partir de l’usine familiale, de l’éducation reçue, des rêveries adolescentes, avant la fuite vers d’autres horizons…