le 24 Août 2012
Des journalistes et des combats
Georges Arnaud. Le chevalier à la plume flamboyante
D’abord écrivain, devenu célèbre avec son roman le Salaire de la peur, Georges Arnaud, de son vrai nom Henri Girard, choisit de devenir journaliste pour s’engager dans la recherche de vérité et la lutte contre les injustices.
Lorsqu’il accède à la notoriété, en octobre 1941, Georges Arnaud s’appelle encore Henri Girard et vient d’être inculpé de triple assassinat. À une époque où l’on guillotine une avorteuse, son avenir est tout tracé. Pourtant, à l’issue de deux années de prison, le prévenu, défendu par Mme Maurice Garçon, est triomphalement acquitté.
Hélas, le doute subsiste, insupportable au jeune homme en colère qui s’expatrie en Amérique du Sud. Colombie, Guatemala,Venezuela, pendant deux ans, il exerce mille emplois. Il ne convoiera jamais de dynamite mais des tubes d’acier, une activité à peine moins dangereuse ! Sans le savoir, il emmagasine alors matière à plusieurs romans, avant de revenir en France en passager clandestin.
La presse accueille ses débuts. En 1949, France-Dimanche publie sous son nom « Je suis un dévoyé », premier des quatre épisodes de sa version de « L’affaire Girard », qu’il a contée au journaliste Louis Sapin. Suit une rencontre avec Yvan Audouard et l’éditeur Jean d’Halluin. Entre-temps, Girard a écrit la première version du Voyage du mauvais larron et celle d’un roman moins littéraire, les Oreilles sur le dos, accepté sous réserve de réécriture. Il « torche » alors le Feu au cul, vite rebaptisé le Salaire de la peur. Publié chez Julliard, adapté par Clouzot, le roman propulse Girard, devenu Georges Arnaud, sous les feux de l’actualité.
Célèbre, il s’empresse de déserter la voie royale qui s’ouvre devant lui. Ce qui l’intéresse, c’est combattre les injustices. Et ce combat, comment mieux le mener qu’en devenant journaliste ? Profitant de sa notoriété, Georges Arnaud va refuser de s’attacher à un journal en particulier. Il collaborera au coup par coup, en franc-tireur, sans se soucier d’étiquette politique, pour peu qu’on lui laisse les coudées franches. On retrouve sa plume dans France-Dimanche, journal à sensations, pour lequel il couvre le Bol d’or cycliste du Vél’d’Hiv par exemple, l’Aurore, organe de la droite la plus dure, qui publie à la surprise générale son enquête brûlot sur les prisons françaises, les Lettres françaises d’Aragon, taxées de communistes.
Pendant des années, il pourfend justice et institutions, défendant le forçat Courgibet, sauvant la vie de Michel Portail, croisant le fer pour Marguerite Marty, dans Combat, l’Express, le Patriote du Sud-Ouest et surtout les Lettres françaises. Mais, d’une indépendance farouche, Georges Arnaud entend rester libre de ses choix. En 1956, deux ans après l’affaire des fuites, se déroule le procès de deux fonctionnaires accusés d’avoir livré des dossiers intéressant la sécurité nationale. À travers eux, c’est le Parti communiste qui est visé. Arnaud suit le procès, en dénonce l’anticommunisme, et, le jour du verdict, s’en prend à Tixier-Vignancourt et Pierre Sidos, avant d’être jeté à terre par un des nervis qui les accompagnent.
Emmené à l’infirmerie de l’Humanité – un bras cassé lors de la manifestation antifasciste du 1er juin 1958 l’y ramènera ! –, Arnaud rencontre René Andrieu, son rédacteur en chef, et confie au journal une tribune libre qui ne restera pas sans lendemain. À deux reprises, il viendra lui apporter son adhésion. Andrieu le convainc de n’en rien faire. Il n’est pas fait pour être un homme de parti. En revanche, il devient un compagnon de route, libre et loyal.
En octobre 1956, s’il condamne l’intervention soviétique à Budapest, il ne peut s’empêcher de critiquer certains intellectuels qui attaquent le PC français : « Ou ils savaient et n’ont rien dit et ce sont des lâches, ou ils ne savaient pas et ce sont des imbéciles. » Mieux, lorsque le siège de l’Humanité est attaqué par l’extrême droite, Tixier et Le Pen en tête, et que, par dizaines, des militants communistes affluent pour le protéger, Andrieu le voit voler à la rescousse. De lui, il écrira plus tard, avec affection : « Ce n’était pas l’ami des beaux jours. Quand il venait nous voir, c’était toujours lorsque nous avions des difficultés. »
Arnaud passe à présent pour crypto-communiste, au point que Michel Debré l’accuse d’être « un des deux écrivains stipendiés du Parti communiste auteurs du livre la Gangrène ». C’est qu’Arnaud s’est engagé corps et armes pour l’indépendance de l’Algérie. Avec Jacques Vergès, il a écrit Pour Djamila Bouhired afin d’empêcher l’exécution de cette militante du FLN. Puis, dans Paris-Presse, qui le lâchera, il rend compte le 20 avril 1960 d’une conférence de presse clandestine de Francis Jeanson, le responsable du réseau de même nom. Une bombe, qui lui vaudra un procès tumultueux pour « non-dénonciation » et deux mois à Fresnes…
Georges Arnaud n’en a pas fini avec le journalisme. En 1962, avec sa famille, il part vivre en Algérie. Il y fera paraître une soixantaine d’articles de fond à Révolution africaine, contribuera occasionnellement à El Moudjahid, participera dans l’ombre à la création de l’École de journalisme algérienne puis à celle du CNC, le Centre national du cinéma. Une collaboration jugée « fraternelle, stimulante et vivifiante » par ses « élèves ». Lorsque Arnaud rentre en France en 1974, pour Antenne 2, récemment créée, il va mener des enquêtes mémorables. Sur la secte Moon, par exemple, ou la mystérieuse disparition du colonel SS Peiper. Des enquêtes périlleuses qui lui valent des menaces et un attentat contre son domicile. Et la censure.
D’autres reportages suivront avant qu’Arnaud ne reprenne la plume. Des articles au vitriol sur l’affaire Klaus Croissant pour le Matin et le suspense du cargo au plutonium pour le Journal du dimanche. Jusqu’au bout, Georges Arnaud aura bataillé, entre haine de l’injustice et appétit de la vérité, négligeant parfois, dans cette quête obstinée, ses propres œuvres qui mériteraient enfin une édition complète. À une époque où les rebelles en peau de lapin se multiplient, où les causes de révolte n’ont jamais été si nombreuses, il serait salutaire et urgent de redécouvrir cet écrivain journaliste irréductible dont la vie fut un roman noir.
Roger Martin