Dimanche 11 juillet 2010
Par Dominique Richard
Roger Martin, biographe de Georges Arnaud est persuadé de son innocence
L'écrivain Roger Martin, le biographe de Georges Arnaud, est persuadé de son innocence
Roger Martin: « Je ne le vois pas tuer son père ». Photo DR
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« Sud Ouest Dimanche ». Vous êtes l'auteur d'une biographie de référence sur Georges Arnaud. Alors, coupable ou non coupable ?
Roger Martin. Ce livre m'a demandé trois ans de travail (1). Pendant cette période, je vivais en permanence avec Georges Arnaud. Et tous les jours je me posais cette question. Un matin, je me réveillais en me disant, il est coupable. Le lendemain, j'étais persuadé du contraire. Ce n'est qu'avec le temps que j'ai acquis la conviction qu'il était étranger à ce crime. Je ne le vois pas tuer son père.
Sur quoi se fonde votre intime conviction ?
Georges Arnaud me fait un peu penser à l'acteur Patrick Dewaere à 25 ans. On a envie de le gifler. D'un côté il y a ses foucades, ses folies, de l'autre sa vie, son œuvre, ses engagements. J'ai examiné tous ses écrits, interrogé des dizaines de personnes qui l'avaient rencontré. Des personnalités, mais aussi des gens modestes. Tous évoquaient son humanité. C'est le témoignage de Paul Neufeld qui m'a définitivement convaincu.
Ce juif hongrois, arrêté alors qu'il franchissait la ligne de démarcation, partageait sa cellule à la prison de Périgueux. Ils étaient tout le temps ensemble. Georges Arnaud savait qu'il risquait sa tête. Dans ces moments-là, on se confie. « Il n'a jamais tué personne, disait Paul Neufeld. C'était simplement un jeune homme qui se cherchait dans une période terrible. »
À quoi tient le fait que, malgré son acquittement, on a toujours tendance à douter de son innocence ?
Tout d'abord à sa personnalité. Il était fasciné par la marge et les mauvais garçons. Il aimait à se faire passer pour ce qu'il n'était pas. Il y avait une telle charge de provocation chez lui qu'il a pu sciemment laisser penser qu'il était l'auteur du crime. Et l'enquête menée totalement à charge a forcément laissé des traces dans la mémoire collective. Songez que le juge d'instruction n'a jamais fait expertiser le pantalon taché de sang découvert chez le gardien du château. Alors que du sang, on n'en a jamais trouvé dans la chambre, sur les vêtements ou sur la peau de Georges Arnaud, bien qu'il y ait eu un véritable carnage dans le château.
Georges Arnaud savait-il ce qui s'était passé ?
Il ne parlait jamais du crime d'Escoire à ses proches. C'était un sujet tabou. Beaucoup de pistes ont été négligées. Certaines évoquées aujourd'hui ne me semblent pas sérieuses. Son père avait signé par le passé des écrits susceptibles de le situer dans la mouvance de la gauche radicale. Mais de là à accréditer la thèse d'un règlement de comptes politiques… Je me demande si en fait Georges Arnaud n'a pas été victime de ses mauvaises fréquentations. Peu de temps auparavant, il avait été soupçonné d'avoir simulé l'enlèvement de sa tante pour percevoir une rançon. Il a peut-être pu rencontrer des gens et leur suggérer d'aller faire un cambriolage à Escoire, sans imaginer que cela puisse mal tourner.
En quoi Escoire a-t-il influencé son œuvre littéraire ?
Escoire l'a marqué à vie. Il vécut la situation d'un innocent qui risque la peine de mort. Surtout, il n'a jamais pu se défaire de ce sentiment d'impuissance : ne pas prouver aux autres qu'il n'était pas coupable. Cela l'a poussé à partir jouer les aventuriers en Amérique, d'où il est revenu avec « Le Salaire de la peur ». Escoire lui a donné un devoir : celui d'affronter sa société et ses tares, celui de payer de sa personne pour tirer des griffes de la justice ceux qui étaient injustement accusés. Il représentait souvent les juges avec des visages d'oiseau de proie. Il sentait au fond de lui-même qu'ils le regardaient toujours comme un coupable.
(1) « Vie d'un rebelle », de Roger Martin, éditions A plus d'un titre.