Extrait...
Vocation et misère de l’homme
À l’expérience négative de Babel, la tradition biblique chrétienne oppose le mystère de la Pentecôte. Réunis à Jérusalem après le départ de Jésus vers son Père, les Apôtres reçoivent l’Esprit Saint. Il y avait à ce moment à Jérusalem une grande foule de pèlerins venus de tout le pourtour de la Méditerranée et des régions avoisinantes: « Parthes, Mèdes et Élamites, habitants de Mésopotamie, de Judée et de Cappadoce, du Pont et de l’Asie, de Phrygie et de Pamphylie, d’Égypte et de Cyrénaïque, Romains en séjour ici, Juifs et prosélytes, Crétois et Arabes. Et tous entendent publier dans leur langue les merveilles de Dieu » (Ac 2, 9-11). Une réponse est ainsi donnée à l’impasse de Babel. Qu’en est-il de nos jours ? À la condamnation de notre civilisation, ou du moins de sa prétention universaliste, la foi chrétienne doit donner réponse, ou consentir à disparaître. Mais pouvons-nous transposer dans le présent, dans notre présent, la leçon de la Pentecôte ? Et comment ? Nous avons déjà développé, dans un autre ouvrage, le souci qu’a eu la foi chrétienne, très peu de temps après sa naissance, d’avoir à s’exprimer dans des cultures différentes de celles du creuset juif où elle était née. Ce fut sans doute une extraordinaire révolution, pour les Juifs qui avaient adhéré au christianisme, que d’accepter que les païens venus à cette même foi, n’aient pas à se soumettre à la Loi de Moïse, en particulier à la circoncision et aux prescriptions alimentaires pour devenir chrétiens. Leçon partiellement oubliée par l’Église, notamment au XIXe siècle où, devenir chrétien, pour un Africain par exemple, signifiait en même temps devenir occidental. Le souci de l’inculturation qui se développe actuellement chez les chrétiens d’Afrique et d’Amérique latine peut paraître une nouveauté de ces dernières années. En fait, il renoue avec une des traditions les plus anciennes de l’Église et qui a d’une façon radicale orienté son histoire. Cette ouverture culturelle n’est qu’un aspect d’une autre tradition plus générale et plus fondamentale, constamment oubliée dans l’Église, mais aussi constamment réaffirmée, à savoir le refus de toute exclusion, et de tout ce qui peut la provoquer.