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François salvaing
 

Y aura-t-il une crèche à Noël ?

Alain Nicolas

Journal L’Humanité Décembre, 2015




Une opération israélienne prive les orphelins de Bethléem de leur crèche vivante. L’obstination d’une religieuse et les doutes d’un tankiste la sauveront-elle ? "La Créche", un roman de François Salvaing

Noël approche à Bethléem, et l’« Opération Clarté Définitive » est déclenchée. Il ne s’agit pas de l’avènement d’un divin enfant, mais d’un acte politique majeur, comme on dit. En l’occurrence, l’annexion définitive par Israël des territoires occupés, suivie pour leurs habitants, d’une expulsion, claire et surtout définitive. Plus de compromis, de demi-mesures, d’accords fumeux. On éjecte tout le monde, vers les pays qui voudront bien accueillir ces « évacués ». Pays « d’Europe, d’Amérique du Nord, d’Australasie », le Moyen Orient n’étant pas tenu pour « asile souhaitable ». Pour sœur Sylvie de l’Annonciation, cela se concrétise par l’irruption d’un char dans sa chambre de l’orphelinat de l’Hôpital de la Sainte Famille, la confiscation de son portable par un officier tankiste et la nécessité de rameuter, en chemise de nuit et pieds nus, le Boulanger, la Boulangère, le Rémouleur et autres Usurier et Tisserand. C’est que sœur Sylvie est en pleine préparation de la crèche vivante, et qu’elle n’appelle plus ses orphelins que par le rôle qu’ils vont y jouer. 

« La Crèche », le nouveau roman de François Salvaing, construit, sur cette hypothèse qui –pour l’instant- appartient à la politique fiction, un roman qui, au départ, ne fait rien d’autre que d’en explorer toutes les conséquences prévisibles, depuis l’intervention télévisée d’un Narcisse « philosophe » amoureux de son brushing et de sa chemise ouverte, jusqu’à la réinstallation de la congrégation des Humbles sœurs de la Multiplication des pains dans un château du Quercy, Rémouleur, Boulangère et sœur Sylvie compris. Qui va pouvoir se remettre aux choses sérieuses, faire la classe aux orphelins, et surtout préparer cette crèche vivante, qui ne peut plus attendre. Mais voilà les enfants « évacués » adoptables, embarqués en quatrième vitesse par des bourgeois de bonne volonté. La crèche n’aura pas lieu.

Le ton, discrètement ironique, se fait caustique et passe au grinçant quand le major Ayal Ouaknine, celui qui a défoncé avec son char la cellule de sœur Sylvie, propose de dresser dans Bethléem -« La maison du pain » en hébreu- une statue à Hitler, qui a « débarrassé les Juifs de la culpabilité pour les siècles des siècles ». 

A partir de là, le récit quitte ses rails, tout peut arriver, coïncidences, retrouvailles, héritages imprévus. De l’imprévu et de la surprise, il y en aura. François Salvaing joue avec bonheur les deus ex machina dans ce magnifique conte qui sort de l’épure de la fable politico-religieuse pour conjuguer impitoyable lucidité et réelle tendresse. Et si, en fin de compte, il y avait une crèche à Noël ?

 

François Salvaing La Crèche

Editions à plus d’un titre. 226 pages, 19 euros